Leçons par le RAID et le GIGN à retenir pour nos organisations

RTL Emission spéciale

Dans cette émission spéciale de RTL, le RAID et le GIGN reviennent sur les assauts donnés contre les frères Kouachi et A Coulibaly et nous donnent une grande leçon de management des risques et de gestion de crise

Le double assaut à Dammartin et porte de Vincennes raconté par les hommes du Raid et du GIGN

Pour mémoire, le fait pour les forces de police et de gendarmerie d’avoir deux situations à gérer en simultané ne s’était encore jamais produit à ce jour. La complexité qui en résulte se trouve par ailleurs renforcée par le fait que les deux situations étaient liées, et que lesdites forces pouvaient légitimement penser que les terroristes étaient informés de l’autre situation en quasi temps réel (on sait désormais que Coulibaly avait accès aux chaînes d’information continue)

1.- Ce qu’il convient de retenir des témoignages des officiers supérieurs du RAID et du GIGN

Faire face à des situations complexes, aux enjeux élevés ne s’improvise pas. Cela s’étudie en long en large et en travers, aussi bien sur les situations que l’on a pu vivre soi-même ou que d’autres ont vécu. Ce travail est à effectuer en amont de la survenance de la crise. Dans le monde de nos organisations, une bonne pratique consiste à travailler sur l’identification des risques et incertitudes auxquels l’organisation pourrait se retrouver confrontée.

  • Un travail d’identification et de hiérarchisation

Ces risques et incertitudes pourront venir de l’organisation elle-même (sa stratégie, son organisation, ses ressources humaines, industrielles ou financières…) et/ou de son environnement (concurrence, régulateurs, partenaires, marchés côtés, cataclysmes naturels…). Ils devront être définis, évalués, hiérarchisés…

Pour les risques et incertitudes que l’organisation jugera inacceptables, il conviendra d’essayer d’apporter une réponse appropriée (évitement, externalisation, réduction selon leur nature et le coût de leur traitement face aux enjeux qu’ils représentent).

  • Un traitement selon deux axes pour les risques et incertitudes aux conséquences jugées inacceptables

La réponse qui correspond à la réduction du risque ou de l’incertitude peut avoir un volet en amont (réduire la probabilité de survenance de l’événement redouté) et/ou une action palliative -en aval donc- qui visera à en réduire l’impact, les conséquences. Dans tous les cas, la « solution » retenue doit être définie a priori

La situation d’une prise d’otages est en de nombreux points comparable à cette opération de réduction des impacts des risques et des incertitudes. Que nous disent les officiers concernant le déroulement des opérations ?

  • Chacun sait ce qu’il a à faire et ne fait que cela

Certains s’occuperont de recueillir des informations (le gérant de l’imprimerie, l’artisan qui est intervenu pour des travaux dans l’épicerie…), d’autres de gérer les tiers (habitants à proximité, médias pour ne pas donner un avantage aux terroristes…), certains seront des « vigies » (tireurs d’élite) d’autres pénétreront en force le cas échéant (avec une incertitude fondamentale et élevée : qui essuiera le feu ennemi ?) d’autres évacueront les otages, les blessés, certains décideront, coordonneront…

2.- Ce que l’on peut retenir et transposer à nos organisations

  • L’improvisation est à proscrire

Nous l’avons abordé plus haut mais il est essentiel de le rappeler, la performance exceptionnelle du GIGN et du RAID n’a pu être possible qu’au prix d’une évaluation minutieuse en amont des situations probables et possibles, réalisée a priori et complétée de leçons apprises lors de l’analyse a posteriori d’événements antérieurs.

On ne saurait attendre de la grande majorité de nos organisations qu’elles atteignent le niveau du RAID et du GIGN en la matière, mais combien sont aujourd’hui dans le flou le plus total ? Beaucoup trop, hélas !

  • Se mettre le plus proche possible d’une situation réelle pour s’entraîner et agir avec justesse le jour J

On l’a dit, savoir précisément qui fait quoi dans quelles conditions est nécessaire, mais cela ne saurait être suffisant. Ces hommes d’élite ont tous vécu des situations d’entrainement avec tirs à balles réelles, sur leurs boucliers ou leurs gilets pare-balles pour réduire au maximum le risque « d’erreur » au moment d’entrer -dans ce cas- dans l’épicerie casher et d’essuyer pour certains les tirs de kalachnikov de Coulibaly (5 blessés chez les policiers lors de l’assaut !).

Rédiger des process et des procédures que l’on met sur un intranet est loin d’être suffisant. Il faut mettre en oeuvre par les acteurs concernés les plans d’action définis sans quoi tout l’investissement consenti en amont dans leur élaboration pourrait vite passer par perte. Les exercices d’évacuation incendie (obligatoires : ICI) illustrent plus souvent qu’il ne serait souhaitable à quel point le décalage est grand entre la théorie et la pratique !

  • Attention à la dimension systémique

La sortie subite des frères Kouachi déclenche l’assaut de l’épicerie. Les risques ne peuvent et ne doivent s’analyser puis s’appréhender indépendamment les uns des autres. La complexité de nos organisations et des environnements dans lesquels elles évoluent conduisent parfois à des effets domino. N’avoir travailler que sur le premier domino peut s’avérer fatal si l’on n’a pas vu que sa chute entraînait par suite celle de tous ceux situés derrière lui. La dimension systémique est généralement tout autant -sinon plus- sous-évaluer que la nécessité d’éprouver « à blanc » les plans d’action

  • Un exercice de révision permanent pour un résultat à la hauteur des attentes

Les représentants des héros des derniers jours de toute une nation nous le disent dans l’interview: ils actualisent constamment leurs analyses en fonction de l’évolution des environnements des menaces auxquels ils sont confrontés. Dans le passé, le plus souvent un preneur d’otages était ramené à la raison, cela prenait du temps mais il n’y avait pas de victime. Dans un tel contexte, on peut imaginer que les dispositifs ou l’attention des intervenants pouvaient ne pas être à leur maximum. Nous apprenons que dès lors qu’un preneur d’otage est radicalisé, il n’y a jamais eu de reddition. L’affrontement jusqu’à la mort est la seule issue. La réponse dans de telles situations devra donc nécessiter un dispositif massif et une attention de tous les instants.

Le traitement prévu d’un risque, élaboré depuis un « certain » temps pourrait ne pas remplir son office. Depuis sa conception, la nature du risque a pu évoluer, le dispositif ne plus fonctionner (l’extincteur par exemple est périmé et il n’y a plus de pression à l’intérieur) ou la ressource ne plus satisfaire aux attentes (mutation ou départ, en déplacement…).

  • L’usure du temps et l’ampleur de la tâche : nos pires ennemis !

Évacuons rapidement l’ampleur de la tâche : trop souvent, nos organisations voient l’ampleur de la tâche, sa récurrence et la mobilisation des ressources comme trop importantes. Alors on finit par se convaincre que cela n’arrive qu’aux autres (voir sur ce sujet notre billet ICI) et l’on ne fait rien…

L’usure du temps et son cortège de fausses alarmes peuvent aboutir au même résultat: l’événement survient et l’on prend son impact intégralement, le dispositif de réduction du risque n’ayant pas fonctionné.

Dans le cas de la rédaction de Charlie Hebdo, le dispositif de protection a été progressivement allégé (lire l’article édifiant rétrospectivement du Figaro ICI) et lorsque les frères Kouachi se sont présentés, le policier du Service De La Protection n’a rien pu faire alors qu’ils ont semble-t-il commencé à tirer avant d’être sur lui (ce qui a pu l’alerter ?). La rage et détermination des assassins a pris tragiquement le dessus et conduit à son meurtre et celui des membres du journal.

3.- Alors que faire ?

Atteindre le niveau de maîtrise du GIGN et du RAID constitue de toute évidence un voeu pieu pour nos organisations. Mais le fait que leur expertise ne semble pas à notre portée ne constitue pas une excuse recevable pour ne rien faire ou se cacher derrière une croyance telle que « cela ne peut pas nous arriver à nous » ou une pseudo-certitude telle que « on verra bien lorsque cela arrivera, on en a vu d’autres… »

Qui aurait osé dire que l’on pouvait couler un navire moderne à quelques encablures de l’Italie ? Qui aurait parier sur le fait qu’une banque pouvait perdre 5 milliards d’euros du fait semble-t-il des actions d’un seul salarié ? Comment un leader mondial de l’automobile a-t-il pu être amené à rappeler en une année 30 millions de véhicules pour des défaut de qualité ? Les exemples sont légions.

Penser identification des risques et incertitudes, adoption des comportements adéquats pour les prévenir ou en réduire les impacts devraient devenir un acte inconscient, de ceux que l’on a intégrer et que l’on exécute sans même sans rendre compte.

Il y va peut-être de la survie de votre organisation. Comme dans toute chose, il faut bien commencer petitement avant de parvenir à des performances acceptables puis bonnes voire excellentes. Les GIGN, RAID et autre GIPN n’ont pas atteint leurs niveaux d’excellence en un jour.

Les performances que nous relatent dans cette émission de RTL leurs patrons constituent une belle opportunité pour chaque dirigeant de nos organisations de se questionner sur leur état de conscience et sur le niveau de préparation de l’organisation dont ils ont la responsabilité. Quid de leur responsabilité si un événement malheureux qui aurait pu être évité ou contrôlé se produit et impacte fortement salariés, partenaires, fournisseurs et autres clients…?

N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires et réflexions sur ce sujet et sur ce billet

PS : nos pensées vont aux familles des victimes de cette tragédie et au dévouement et courage des forces de police et de gendarmerie. L’évocation des circonstances héroïques (ou tragiques) vient à l’appui de nos objectifs de sensibilisation en s’appuyant sur les propos tenus dans cette émission et les informations rendues publiques dans différents média


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